Ses iris bleutés contemplent avec attention la ligne droite, si droite, du contenu de la fiole qu’il fait balancer entre son pouce et son index. Il y a quelque chose de passionnant, dans cette constance, malgré les pressions extérieures. Quelque chose qui le fascine, dans la régularité pourtant si facilement explicable du phénomène. Parce que cette stabilité-là, face à toute contrainte, elle lui est inconnue. Lui qui ne sait se contenir, lui qui change d’humeur comme de chemise, lui qui passe du feu à la glace en un instant. Mais surtout, en fin de compte, de la glace au feu.
Osvald a toujours l’air au fond du gouffre de l’ennui. Ses mains constamment en mouvement, parce que l’immobilité le met mal à l’aise. Ses ongles tapotant habilement sur toutes sortes de surfaces à sa portée, parce que le silence le hante. Ça a quelque chose d'agaçant quand on lui parle. Cette manie de toujours avoir l’air ailleurs, son regard perdu quelque part dans le décor, où dans cette activité qu’il n’a pas pris la peine d’arrêter pour écouter. On le prendrait presque pour quelqu’un de froid, s'il n'était pas réputé pour son sang chaud.
- Oz? Tu m’écoutes quand je te parles?
Il reste assis sur le tabouret de son labo, mais ses mains s’immobilisent en même temps que ses prunelles se déplacent lentement vers le jeune homme. Son visage se détache à peine des doigts sur lesquels il reposait. Dos droit, même quand il se vautre sur la paillasse. Jambes croisées qui se dressent en un crissement de cuir quand ses chaussures se frottent aux pieds métalliques de la chaise. Le sourire sur ses lèvres est pourtant annonciateur de la situation à venir.
Le blond jauge vaguement le dealer. Pas tant pour décider s'il allait lui refaire le portrait ou pas, il s’était déjà fait à l’idée, ni pour élaborer une véritable stratégie. Grand, mais pas assez pour s’écraser dans le stock de poudre de fée quand il lui mettrai son poing dans les narines, c’est parfait. Il ne voudrait pas abîmer la marchandise. C’est des comptes à rendre, et le chimiste déteste ça.
- J’ai entendu que des ouinouins, Klain, alors j’ai pas tout à fait vu l’intérêt d’écouter.
Il se lève, ses pieds bien ancrés au sol, réajustant les manches trop longues de sa veste au niveau de ses poignets. Si ce n’était pas pour sa tenue droite et confiante, il n’aurait pas l’air bien impressionnant. Sa voix est cassante, sa carrure pas particulièrement imposante, et du haut de son mètre soixante-dix, il doit lever la tête pour regarder son opposant dans les yeux. Pourtant, il sait ce qu’il fait. Avançant d’un pas assuré, il rejoint son client en tirant ses longs cheveux lâchés derrière son oreille, et s’arrête un peu trop près pour que quiconque ne se sente à l’aise par sa proximité.
- D’autant que j’ai l’impression que c’est toi qui n’écoute pas grand-chose.
Il sourit. De ce putain de sourire, qu’il n’arbord que pour les mauvaises occasions. Les lèvres retroussées, les sourcils arqués avec un sens de mise au défi. Que le gaillard en face l’accepte ou pas, de toute façon, c’est trop tard. Dans la poche avant de son hoodie, Osvald a déjà la main sur le l’acier de son poing américain. Prenant à plusieurs reprises son inspiration, comme pour reprendre la parole, il semble réfléchir, tenter de se remémorer l’exactitude de ses propos, en vain. Il n’a pas cette mémoire des détails. Il se contente des idées générales. Alors ça fera le travail, le général.
- Je suis assez certain de l’avoir déjà dit, pourtant, non? Je livre la marchandise.
Le jeu de regard a fonctionné. Assez pour qu’il n’ait pas le temps de reculer assez loin pour éviter l’attaque du responsable de la poudre magique. Le premier coup tape le diaphragme, pour la stupeur momentanée, pour le souffle coupé, pour avoir le temps d’enchaîner avec un revers dans le nez qui l'enverrait au sol. Le bruit du crâne qui tape contre le béton lui est presque familier, maintenant. Et l’odeur du sang qui se mélange aux émanations de la fabrication de la poudre et des restes de détritus gisants dans les tunnels des égouts.
- Tu crois qu’on bosse dans ce taudis pour s’amuser, Klain? Tu crois que ça nous fait plaisir, hein? On vient pas se planquer sous terre pour que le premier teubé comme toi nous y ramène tout Wonderland, putain.
Les coups s’enchainent. Il n’y a plus vraiment de logique dans l’ordre dans lequel il les assènent. Passé les premières secondes, il fait ça pour le simple plaisir du geste. Pour le contrôle. Pour entendre supplier. Pour apprendre le respect. Il n’attend qu’un mot un peu plus pathétique que les autres pour poser ses doigts sur le torse de sa victime, et l’observer encore quelques secondes de haut. Se délecter de ses sanglots. Se lever lentement, avec ce sourire satisfait. Comme s’il venait de terminer de profiter de la première pute de bas étage qu’il avait trouvé.
***Il rassemble ses papiers, vérifie que les pots de chaque substance sont bien fermés avant de partir pour sa livraison. Osvald aime le travail bien fait, et il met un point d’honneur à ce que les choses se passent bien au labo. Il n’est pas un boss désagréable, tant qu’on n’a pas la mauvaise idée de lui faire monter les nerfs. Tant que le boulot est bien fait. Tant qu’on ne remet pas en question son autorité. Bref, oui, tout le monde a eu au moins une mauvaise expérience avec lui. Mais les quelques petits accidents d'humeur mis à part, ça se passe généralement plutôt bien.
- Ah, pensez à sortir les poubelles rapidement, idéalement d’ici… une trentaine de minutes, maximum?
Une main sur l’encadrement de la porte, son regard parcourt ses collègues tout récemment arrivés avec une certaine urgence. Il avait presque oublié de les prévenir avant de partir pour ses livraisons, et le blond s’en serait voulu.
- Faites doucement avec le gros sac vert, par contre, il y a quelqu’un dedans. Vivant, hein, pas d’inquiétude. D’où l’attention, d’ailleurs. Enfin, le chloroforme devrait le tenir endormi une petite demi-heure encore donc si vous pouviez faire ça avant ça serait plus discret. C’était un peu l’idée du sac poubelle. Je compte sur vous, les gars
.On est plus surpris de son traitement si casuel de la violence, et de sa façon de nettoyer derrière lui, sans remords. Propre, efficace, autonome. On l’a déjà vu attraper un gaillard de deux fois son poids pour les jeter mollement sur les charrettes de transport de poudre. Un bon moyen de se débarrasser d’un gars qui n’avait pas supplié assez vite. Tombé dans les vapes, pauvre bougre. Enfin, “pauvre”. Il l’avait pas mal cherché, il faut dire. Tenter de lancer son propre réseau à Halloween City? Il aurait dû savoir à quoi s’attendre.
La première livraison aurait été pour Klein. Ça lui arrache un petit rictus à moitié amusé, qu’il fait bien vite disparaître en se rattachant les cheveux à l’aide d’un vieil élastique traînant au fond de son sac messager. Il trouvera bien un des gars de ce dealers de quartier pour lui proposer l’occasion de doubler son cheftin. Ou mieux encore, vendre la production de au casino, pour leur assurer une exclusivité de la marchandise pour la semaine. Ca se discuterai plus cher au kilo, ça, non? Il reste partagé, entre l'appât du gain et sa passion pour voir le monde brûler.
***Tout sourire, un cocktail à la main, il lance un clin d’oeil entendu à la demoiselle qui le rejoint sur la banquette, prenant la place du directeur du casino avec qui il vient de remettre une quantité inhabituelle pour un paquet de billets supplémentaires. L’endroit lui est familier, même en dehors du travail. Clochette aime les plaisirs de la vie, et profiter des bonnes choses. Il n’a pas besoin de se forcer pour se mélanger à la population du casino.
La musique trop forte, le verre de trop, les nuits passées entre encore une autre paire de cuisses. Si l’odeur du tabac colle à ses tenues à la mode, l’un des rares vices qu’on ne le verra pas pousser à l’excès, c’est la consommation de ses propres décoctions. “Pas assez con pour tomber là-dedans", n’a-t-il pas peur de dire à ses clients qui lui en propose. Pour tout le reste, c’est toujours tout pousser à la débauche, pour se sentir un peu en vie.
La conversation lui vient toujours si facilement. Extraverti par nature, il a cette façon de se faufiler dans les conversations avec un naturel affligeant, quel que soit l’interlocuteur. Monsieur réponse à tout, qui assaisonne chaque réflexion d’une note de sarcasme, de mauvaises blagues ou de défiance. Impertinent, mais exaspérant charmant dans sa manière de le formuler. Ou désespérément désagréable, dépendant de ses intentions.
Le fait est qu’Osvald sait user des émotions qu’il fait ressentir, et n’a pas peur de le faire. Si sa loyauté ne va pas au porte-feuilles le plus rempli, sa moralité s’y trouve. Qu'on n'aille pas dire qu’il aime ce qu’il fait pour autant, mais il trouve un confort suffisant dans l’argent qu’il fait pour calmer ses états d’âmes. Sans tomber dans la psychologie de comptoir, on voit comment il en arrive à ces comportements dépravés. Enfin, de ses propres mots, il n’a pas à se plaindre de son mode de vie. Alors qu’à cela ne tienne.
Pourtant, malgré cet apparent chaos, il ne laisse jamais une goutte de ses excès entacher son professionnalisme.Et l’heure tourne. Time n’est pas toujours clémente, hein? Rendez-vous oblige, le jeune homme laisse femme et alcool derrière-lui pour sa dernière tâche de la journée.
***Assis sur le muret derrière le manoir hanté, il inspire une longue, longue bouffée de nicotine, avant de laisser la fumée blanchâtre s’échapper de ses lèvres au ciel d’encre de la nuit. Le silence pesant du point de rencontre, les émanations d’alcool et l’odeur du tabac lui auraient peut-être ravivé quelques souvenirs, s’ils n’avaient pas été perdus pour toujours, après son errance prolongée au pays des merveilles. Les coups que plus souvent reçus que distribués et les cadavres d’aiguilles du grenier. Au final, tout perdre de cette ancienne vie avait été plus près d’une libération. Est-ce pour ça qu'il a abandonné le premier prénom? Ici, ce n’était plus Finn, mais l’os weald qui avait pouvoir et puissance. Toujours à la recherche d’un peu plus.
Mais Alastor interrompt son fil de pensée, autant littéralement que figurativement. Sa loyauté a beau lui revenir pour l’instant, Osvald sait qu’elle finira par se faire outrepassée par l’ambition. Une fidélité toute gardée, comme c’est souvent le cas avec lui. Protéger à tout prix, jusqu’à ce que son attention se porte ailleurs, où l’herbe est plus verte. Opportuniste avec des principes. Tant que son territoire n’a vocation à rester dans les murs d’Halloween City, on ne trouve pas mieux. Quand les enjeux seront différents, qui sait?
Il écrase le mégot d’un coup de talon habitué à la manœuvre. Sa nonchalance est parfois déstabilisante, alors qu’en réalité, cette stabilité dans sa façon d’agir, quel que soit son interlocuteur, devrait pourtant rassurer. Main dans les poches, il tend un enveloppe bien remplie à son boss, avant d’en présenter une seconde qui n’aurait pas lieu d’être.
- J’ai fait un peu d’extra cette semaine. Je dirais que mon intervention en vaudrait bien cinquante pourcent, mais c’est pas moi qui décide, hein?
Pas le plus fin négociateur, mais il n’a pas peur de dire ce qu’il veut. Heureusement pour lui, il a de la ressource qui le rend indispensable dans bien des situations. Ca joue en sa faveur, ces cellules grises. Trop curieux pour ne pas entretenir ses méninges. Comme on dit, le savoir, c’est le pouvoir. On le retrouve souvent avec un livre à la main, mais sa source d’information favorite, c’est les gens. Fin observateur, mais surtout entraîné pousser les gens à la confidence, mieux vaut rester sur ses gardes en sa compagnie, car les secrets en sa possession sont en de bien mauvaises mains.
-Ah, et … Le quartier est risque d’être à sec cette semaine. Petit accident au labo. Rien qui ne doive t’inquiéter, mais je préfère te mettre au courant.
Si le sbire n’a pas peur de tordre la vérité à sa guise, on ne le surprend pourtant rarement à le faire. Le fait est qu’il n’a rien à faire des conséquences de ses avoeux, aussi honteux soient-ils. Ce que pensent les gens de ce qu’il a fait, il s’en fout, et s’ils ne sont pas contents, c’est la même chose, à quelques points de sutures près. Alors on le dit honnête, mais avec tout le dédain d’un défaut. Il en sourit, pourtant. Comme si c’était une fierté. Comme s’il les collectionnait. Comme s’il avait besoin d’être le villain de cette histoire. Un déguisement idéal, quand on n’a rien à montrer sous le masque des apparences. Qu’est ce qu’il ferait, si ça n’était pas ça? Qu’est ce qu’il serait, dans cet endroit sans queue ni tête qu’est wonderland? Le jeune homme n’a pas la réponse. Alors il se perd dans cette définition simplifiée, si ce n’est erronée de sa personne.